David Graeber : « 50 % de nos emplois ne servent peut-être à rien »

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En 1930, Keynes prédisait que d’ici la fin du XXème siècle, le progrès technologique nous permettrait d’instaurer une semaine de travail de quinze heures. Quiconque a tressauté d’envie en lisant ces six derniers mots sait bien que nous en sommes loin. Pourtant, pour David Graeber, nous pourrions en être parfaitement capables. Pourquoi n’y sommes-nous pas parvenus ? Pas parce que nous nous y sommes mal pris, ni par manque d’efficacité ou de productivité, mais – et c’est le message clé de l’anthropologue – parce que cela arrangeait tout le monde. Au risque de créer, pour toute une partie de la population, des emplois qui ne sont rien d’autre que des bullshit jobs. Nous avons rencontré David Graeber à l’occasion de la sortie en français de son essai, aux Liens qui Libèrent.

Nous sommes sa neuvième interview de la journée, mais David Graeber, à Paris pendant deux jours pour défendre son livre, ne semble pas perdre de son énergie. Sans doute parce que l’anthropologue est un homme en mission. Les bullshit jobs, qu’il définit comme des tâches dont des populations entières pensent secrètement qu’elle n’ont pas vraiment lieu d’être, « provoquent des dégâts moraux et spirituels profonds », écrit-il en introduction de son essai. « C’est une cicatrice qui balafre notre âme collective. Et pourtant, presque personne n’en parle. »

« Personne » ? Plus tout à fait. Car David Graeber a propulsé le sujet dès 2013, en suscitant un émoi international qu’il n’avait pas anticipé. Lui avait été commandé, par un magazine radical, « un truc provocateur que personne d’autre ne prendrait le risque de publier ». Il aboutit au « Phénomène des jobs à la con », qu’il appuie alors sur des intuitions plutôt que sur une réelle recherche. Les centaines de commentaires qu’il reçoit dès la publication de l’article viennent « valider » son hypothèse : il venait bien de mettre le doigt sur une réalité savamment dissimulée.

Cinq ans plus tard, son essai poursuit et approfondit l’analyse, grâce à la collection – scientifique, cette fois – de témoignages tous plus ahurissants les uns que les autres, mais aussi via l’ouverture de la réflexion vers les solutions à envisager. Il n’est ainsi pas surprenant que Graeber rejoigne les partisans du revenu universel, et démonte un à un les arguments de ses détracteurs.

Interview réalisée par Annabelle Laurent, Vincent Lucchese et Romane Mugnier.

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